Inscrire le corps dans son propre espace-temps,
“momentanés” photographiques
 

Memento
Corpus





Le travail photographique de Dan Ramaën a ceci de commun avec la musique que, si la musique est un déplacement de l'air, ce qui est ici à l'œuvre est un déplacement de lumière. Une succession d'états qui, tout en s'annulant, construisent une autre image qui déborde d'elle-même et s'embrase dans une abstraction où il n'est plus question que d'énergie, de mouvement et de lumière.

Dans une rangée d'arbres immobiles, un visage endormi ou le marbre d'une statue, Dan Ramaën impulse toujours un mouvement intérieur, un tremblement, un glissement, une caresse qui ne fait jamais de ses photographies un instant suspendu mais plutôt un état vibratoire.

C'est probablement pour cela que l'on trouve une telle porosité entre ses photos et ses films et qu'il semble passer de l'un à l'autre comme s'il s'agissait pour lui d'une même discipline.

Comme dans la musique, ses photos commencent où les mots s'arrêtent. Car si Dan Ramaën développe un intérêt profond pour ses sujets et semble vouloir d'abord comprendre de façon très intense ce qu'il photographie, c'est pour aussitôt se laisser submerger par un mystère et par tout ce qui échappe à la compréhension, par tout ce qui n'aura pas été dit.

Dan Ramaën dévoile ce qui tremble, l'aura du monde, la vibration des choses. Il fait de l'immobile une musique silencieuse et du mouvement un poème sculpté. Saisissant tout ce qui aura été tu mais qui aura été mû.

Olivier Mellano


Quelque part, au fond de nous, parmi ces voix que nous réduisons à rien en refusant de les entendre, peut-être parce qu’elles sont trop claires, nous nous rendons à l’évidence que le réel nous échappe, que sa dimension est trop vaste pour être appréhendée par l’expérience que nous en faisons au quotidien.
Nous vivons sans tout à fait vivre et c’est bien comme ça, quitte à être trop souvent tristes et las de notre manque.
Quelques-uns s’attèlent à observer ce que nombre d’entre nous a renoncé à voir.
Ils travaillent à révéler ce que nous avons perdu par négligence, ce que nous avons été forcés de sacrifier.
Dan est de ceux-là.

Ici sept silhouettes tremblées, sept ombres ; un fond indéfinissable, bien que lumineux, découpé dans l’obscurité ; entre eux, un chemin et son bord ; le tout en noir et blanc.
Il s’agit d’une photographie d’un groupe de danseurs, ce qui n’est pas sans importance.
La danse est fondamentale.
Et c’est tout.
Nous pouvons nous accorder à dire que c’est tout ce que nous voyons.
Pourtant l’image vibre, appelle au-delà.
Peut-être parce que le cours des choses est saisi, imperceptible.
Limites éprouvées, métal de l’être en fusion, murmures rendus, un indicible est libéré.
Nous sommes devant une origine.
Nous sommes face à notre oubli mais aussi un possible.
Une vision de ce réel perdu, enfoui en nos cœurs, qu’il ne tient qu’à nous d’accueillir de nouveau.
Vincent Mourlon


Corps ascendant. Sensation à l’état brut.
Déformer l’apparence humaine pour rendre compte du mouvement, de la réalité de l’individu, de ses sentiments, joies et drames. Le terreau créatif est souvent clairement le résultat d’une réaction alchimique et épidermique.

Il y a du William Blake et Edvard Munch dans ce moment saisi par Dan Ramaën. Ici, le corps ne ressemble plus à un corps, ni le visage à des images connues de la réalité, livrant directement l’âme ou l’inconscient de l’homme dépeint. On a le sentiment que l’humain a du mal à émerger de sa chair. Dans cette solitude existentielle, le côté animal affleure.

« La réalité émeut, fascine, effraie, émerveille ou excite, mais elle ne séduit pas » écrivait Francis Bacon. A travers ses images, Dan Ramaën semble tenter de piéger la réalité, échappant à toute illustration. Il la concentre, la ramasse au maximum, arrive avec les images à ce que font les sténographes avec les mots, le signe en raccourci à la place de la phrase.

Il dépasse l’apparence de son modèle pour donner à voir la manière dont il a été touché par lui. Le corps semble faire appel aux esprits, où qu’ils soient, quoi qu’ils signifient et comment ils pourraient apparaître, pour nous mener plus loin dans cette expansion du mouvement tout entier.

Le souffle de la danse se fait chair. Rituel magique. Aller-retour entre le mouvement et le souffle, avec pour unique injonction « Dansez votre vie ! »

Maflohé Passedouet



Ce corps semble nous dire, de prendre du recul mais je le vois tordu comme notre époque qui nous rappelle sans cesse notre hier, notre demain et nous, nous flottons dans l’océan du présent, frôlant la noyade dans tout ce qu’il évoque, rentrant en nous par tous les pores, nous imposant le sens de la marche par tous
les moyens.
Toute cette violence, il faudrait l’enfouir très profondément et d’une seule main dans la boue.
Vous dites, qu’on ne peut pas le faire ?
Mais on peut rêver.
On ne peut pas rouler, là où il n’y a pas de route.
Construisons-la.
Il faudrait juste ralentir la cadence pour apprendre à voir dans l’obscurité et prendre notre élan.

Le photographe, lui, est un drôle d’oiseau qui ne dort que d’un œil.
Dans l’obscurité, on arrive quand même à sentir dans ses photos, un corps, puis une âme, puis quelqu’un qui vient combler le manque de repère et qui s’offre à notre solitude. Un phare.
D’un coup le corps dont on présentait la chute semble maintenant courber l’échine à l’envers, c’est à dire non pas vers la terre, mais vers le ciel : il devient télescopique, il peut partir dans tous les sens et revenir au cycle de sa vie, en ne quittant jamais ce ciel de vue.

Dans cet espace, on s’abandonne, sentant le va et vient de notre respiration.
L’image en noir et blanc propose une neutralité puissante et facilite notre position dans le temps et comme se soucier du temps fait mal, alors, on arrête d’y penser.
Le passé n’est plus et l’avenir n’est pas encore, rien n’existe.
Je peux m’endormir et reprendre des forces.
Laetitia Sheriff







INTRA-MUROS / Projection EXPO “Memento Corpus”
Vidéo expérimentale 16:20 / Performance : Mélissa Martinez - Musique : NO&RD (No Drama & One Note No Samba)




Exposition à La Commanderie des Templiers
Élancourt, 2019



Remerciements :
NÄSS (Les Gens) - Fouad Boussouf / Cie Massala - massala.fr
BRÛLENT NOS CŒURS INSOUMIS - Cie Christian et François Ben Aïm - cfbenaim.com
HUMANOPTÈRE / BRUIT DE COULOIR - Clément Dazin / Cie La Main de l'Homme - clementdazin.fr
IMPROVISATION - David Saraiva
INTRA-MUROS - Mélissa Martinez
Laetitia Sheriff, Maflohé Passedouet, Vincent Mourlon et Olivier Mellano

Production La Commanderie - Arts visuels / Saint-Quentin-en-Yvelines, 2019 - lacommanderie.sqy.fr